La propagande au sujet d'une pénurie de
main-d'œuvre dans l'industrie du camionnage
Ça fait un bout de temps que je n'ai
pas publié, et bien aujourd'hui c'est le texte de M. Normand Chouinard,
routier, que je publie. M. Chouinard exprime très bien ce que je n'ai cessé de
dire au fils des ans.
J'ose espérer que les chauffeurs,
camionneurs, routiers, conducteurs prendront enfin le temps de lire ce texte et
prendront aussi le temps de bien réfléchir à la situation dans l'industrie et
de prendre les vrais moyens pour se sortir de ce bourbier.
Bonne lecture!
La propagande au sujet d'une pénurie de
main-d'œuvre dans l'industrie du camionnage.
Les camionneurs discutent de la
nécessité de s'organiser à la défense de leurs droits dans toutes les
conditions - par Normand Chouinard -
Une grande illusion est propagée au
sein du mouvement pour la défense des droits des camionneurs au Québec et au
Canada. Les grands employeurs et les médias parlent abondamment d'une pénurie
de main-d'œuvre qui existerait dans le secteur.
Cela, semble-t-il, va forcer les
grandes entreprises de transport à améliorer les conditions de travail des
camionneurs parce que le déséquilibre entre l'offre et la demande va les
favoriser.
Dans ce scénario inventé, la lutte
organisée des camionneurs pour la défense de leurs droits, de leur dignité et
pour une nouvelle direction prosociale de leur industrie ne serait plus
nécessaire.
Cette illusion qui vise à paralyser les
camionneurs est d'autant plus dangereuse que non seulement elle cherche à faire
croire aux camionneurs que les changements vont se faire naturellement, via
l'offre et la demande, mais que ceux qui sont en position de contrôle à tous
les niveaux et qui sont responsables des crises et des problèmes récurrents
vont changer magiquement et de leur propre chef leur conception et leurs façons
de faire.
Un conte de fées nous est servi à
l'effet que les conditions d'une pénurie de main-d'œuvre vont pousser les
grandes compagnies à s'adapter et à trouver des solutions nouvelles qui vont
bénéficier aux travailleurs, sans que ceux-ci aient à lever le petit doigt pour
s'organiser et mener des actions avec analyse pour défendre leurs droits.[1]
Au contraire, au milieu de grandes
transformations technologiques et de bouleversements dans l'ensemble des
industries du transport et de la création de grands corridors de commerce et de
voies de transport, la situation exige vigilance et clairvoyance.
Le besoin d'organisation et de pensées
indépendantes de la part des camionneurs n'a jamais été si grand ou plus
urgent. La tâche de défendre leurs droits revient aux camionneurs et
camionneuses eux-mêmes.
Aucun remède ne viendra des Dieux de la
Peste.
Jamais une quelconque pénurie de
main-d'œuvre qui a pu se produire dans le transport ou ailleurs dans l'économie
n'a freiné la détérioration des conditions de travail des camionneurs et les
attaques contre leurs droits.
Aucun déséquilibre, réel ou imaginaire,
entre l'offre et la demande n'a poussé les cercles dirigeants de l'industrie à
adapter leur comportement dans un sens qui favorise les intérêts de la classe
ouvrière.
Ils trouvent toujours des façons de
défendre leurs propres intérêts. La préoccupation de ceux qui sont aux postes
de contrôle est toujours de rendre les conditions favorables à leurs propres
intérêts privés étroits.
Certains font mention d'améliorations
spécifiques ou temporaires qui se sont produites, mais celles-ci ont toujours
été le résultat de l'insistance des camionneurs.
Dans l'ensemble, la situation générale
des camionneurs s'est profondément détériorée.
Les conditions concrètes ont poussé les
camionneurs à demander une augmentation immédiate de leurs salaires et une
amélioration immédiate de leurs conditions de travail de même que la
reconnaissance effective de leur métier en tant que métier d'importance
nationale, afin d'assurer leur sécurité, celle des nouveaux chauffeurs à venir
et celle du public.
L'exemple des camionneurs intermodaux
aux États-Unis.
Le cas des camionneurs intermodaux aux
États-Unis est significatif du genre de main-d'œuvre qui est en train d'être
créée dans le camionnage.
USA Today a publié récemment un reportage
sur les conditions de travail qui prévalent pour une grande majorité des
camionneurs intermodaux affectés au transport de conteneurs au Port de Los
Angeles et de Long Beach. [2]
L'article révèle que les chauffeurs
immigrants sont forcés de signer des contrats exclusifs avec des entreprises de
transport affectées au transport de conteneurs.
Les contrats déterminent littéralement
tous les aspects de la vie de ces camionneurs, comme s'ils étaient des
esclaves.
Plusieurs chauffeurs se voient forcés
de s'endetter pour acquérir un camion qui correspond aux exigences
environnementales de l'État de Californie.
Ensuite les compagnies de transport
utilisent leurs dettes comme un moyen de coercition et enferment les chauffeurs
dans des arrangements qui les laissent totalement impuissants en ce qui a trait
à leurs conditions de travail et de vie.
S'ils quittent leur emploi, ils perdent
leurs camions et leur moyen de subsistance, mais pas leur dette.
S'ils sont malades ou s'absentent par
fatigue ou raison familiale, ils peuvent se faire renvoyer et perdre également
leurs camions.
Plusieurs chauffeurs se voient forcés
de payer pour des frais qui habituellement sont la responsabilité des
employeurs et finissent par travailler sans pouvoir faire quelque réclamation
que ce soit à la valeur qu'ils produisent.
Ils doivent parfois de l'argent à leur
employeur, et ce malgré des journées de travail de plus de 15 heures.
Des centaines d'accidents se produisent
à cause de ces conditions de travail.
Plus de 40 chauffeurs sont décédés ces
dernières années suite à des accidents de travail dans ces deux ports
seulement.
Ces conditions nous rappellent les
villes de compagnies d'acier et de charbon dont parle la chanson « Seize tonnes
» où les travailleurs étaient obligés d'acheter de la compagnie tout ce dont
ils avaient besoin.
Ils lui redonnaient leur salaire et
même plus. Parfois leurs salaires étaient payés en bons d'achat valables
uniquement dans les magasins de la compagnie.
C'est seulement le travail
d'organisation et les luttes syndicales qui ont mis fin à ces pratiques
anti-ouvrières inhumaines.
Voici une citation du reportage qui est
intéressante. « L'éminent leader des droits civiques Julian Bond a appelé les
camionneurs portuaires californiens les nouveaux fermiers noirs du sud de
l'après-guerre civile.
Les fermiers de cette époque louaient
des terres agricoles pour gagner leur vie et s'endettaient régulièrement auprès
de leurs propriétaires.
Les pratiques prédatrices répandues ont
rendu presque impossible aux fermiers de se sortir de leur situation. »
L'intimidation et la culture de la peur
n'ont pas empêché par contre plus de 1000 chauffeurs de porter plainte depuis
2010 dans cet État.
La lutte de ces camionneurs
intermodaux, qui ont décidé de parler ouvertement de ce qui se passe, a
finalement créé une brèche dans l'opinion publique.
La révélation des conditions qu'ils
vivent a amené les travailleurs d'autres secteurs de l'économie et l'opinion
publique en général à forcer de grands monopoles de distribution comme Costco,
Wal-Mart et Target à annuler certaines livraisons de conteneurs provenant du
réseau d'entreprises de transport en question.
La lutte des camionneurs et leur
détermination ont brisé le silence et créé une situation où même les médias de
masse ne peuvent pas nier que ces conditions rétrogrades existent et doivent
cesser.
Seule la résistance organisée des
camionneurs va décider si ces pratiques inhumaines vont être éliminées au
Canada et aux États-Unis.
Les travailleurs du transport doivent
continuer de briser le silence eux-mêmes sur les conditions dans leurs propres
secteurs et de mener leurs propres batailles.
Cette lutte pour leurs droits et pour
humaniser leurs endroits de travail s'unit à la lutte de tous ceux qui se
battent pour leurs droits.
Une lutte organisée et déterminée peut
stopper cette descente en spirale des conditions de travail et créer une
main-d'œuvre qui effectue le travail, mais qui est fière de le faire et
déterminée à le faire seulement si ses droits sont reconnus et respectés dans
un environnement humain.
Ceux qui propagent l'illusion dans le
mouvement des camionneurs que la pénurie de travailleurs et des propriétaires
accommodants vont changer les conditions pour le mieux veulent paralyser les
camionneurs et faire cesser leur travail d'organisation et leurs luttes à la
défense de leurs droits.
N'oublions pas qu'il y a une chose qui
ne change pas: les travailleurs peuvent compter seulement sur eux-mêmes,
organisés dans leurs collectifs, pour se défendre et défendre leurs droits.
Les cercles dirigeants vont essayer de
créer de la panique, pénurie de main-d'œuvre ou non. Leurs appels généralisés à
la main-d'œuvre étrangère pour gonfler le bassin des travailleurs nous montre seulement
qu'ils détestent ce qu'ils appellent le « plein emploi » parce que celui-ci
leur enlèverait une arme de plus dans la guerre qu'ils mènent pour exploiter la
classe ouvrière.
La répétition ad nauseam d'une
propagande au sujet d'une pénurie de main-d'œuvre qui viendrait freiner la
croissance économique a été menée de pair avec l'édification d'un système
esclavagiste de camionneurs intermodaux en Californie qui est maintenant dévoilé.
Et ce serait sur eux que l'on devrait
compter pour trouver des solutions à nos problèmes et défendre nos droits ?
Certainement pas !
De nombreux camionneurs refusent de
tomber dans ce piège de l'anti-conscience qui a été tendu pour nous piéger et
nous paralyser.
Nous devons bâtir et renforcer nos
propres organisations et nous en servir pour développer notre propre pensée,
notre propre logique et nos analyses et nos luttes afin d'avancer d'un pas
ferme vers une nouvelle direction de l'industrie et ainsi contribuer, en tant
que contingent de la classe ouvrière, à ouvrir les portes au progrès de la
société.
Note 1.
Pour les camionneurs, cette soi-disant
pénurie de main-d'œuvre est une véritable insulte et une arme à double
tranchant.
Quand il n'y a pas de pénurie, la
concurrence accrue pour les emplois disponibles abaisse les salaires et les
conditions de travail.
Les camionneurs se voient forcés de
travailler plus fort sans que leur bien-être personnel soit assuré ou ils
risquent de perdre leur emploi.
Puis, dans une situation de « pénurie »
de travailleurs, les transporteurs augmentent la pression sur eux et leur
disent de travailler plus fort et plus vite à cause de la « pénurie ».
D'une manière ou d'une autre, ce sont
les travailleurs qui paient le prix à moins qu'ils organisent et résistent.
Note 2.
« Forced into debt. Worked past exhaustion. Left
with nothing » par Brett Murphy. Édition
du 16 juin 2017 du USA Today.
N'oubliez pas; "Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin."
Fraternellement,
Richard
Corbeil
Ancien
Routier Professionnel
Journalier-Cariste
Blogueur
Indépendantiste
Syndicaliste
Secrétaire-trésorier
UNIFOR sl 636Q
RP
CSS
RL
FSFTQ
Ancien
membre: Teamsters 931, Métallos 7625, UES-800, FTQ 791, B.A.S.I.C.
UNIS NOUS VAINCRONS, DIVISÉ NOUS PERDRONS!